Encore considérés par certains comme des contraintes superflues, les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance constituent au contraire un formidable vivier de créativité et d’opportunités pour les entreprises, peu importe leur taille. Règlementation, risques et enjeux : on a creusé le sujet avec l’aide de deux expertes.
Commençons par le commencement en précisant pour les non-initiés le sens et l’origine du sigle ESG, à faire précéder du mot « critères » pour qu’il soit signifiant. Ces critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG, donc) sont utilisés par la communauté financière pour évaluer la responsabilité sociale et environnementale des entreprises et de l’ensemble de leur chaîne de production.
Mais alors comment se différencient-ils de la fameuse RSE (Responsabilité Sociétale des Entreprises) ? « Les critères ESG permettent de mesurer et d’évaluer ce qu’une entreprise fait en termes de RSE, via une analyse de matérialité qui détermine ses impacts les plus importants. Plus elle agira là où son impact de responsabilité est déterminant, et meilleurs seront ses critères ESG », explique Caroline Renoux, fondatrice de Birdeo, un cabinet de chasseurs de tête spécialisé dans les métiers du développement durable. « Par exemple, pour une banque, son principal impact de responsabilité ne sera pas au siège, même si les salariés y impriment beaucoup, mais sera mesuré sur le type de projets dans lesquels elle investit. »
Concrètement, que mesurent ces critères ESG et qui les utilise ?
Utilisés depuis 2003 et l’entrée en vigueur de la Loi NRE (loi sur les Nouvelles Régulations Economiques), les critères ESG permettent au monde de la finance de mesurer d’une année sur l’autre l’action d’une entreprise sur :
- Le critère environnemental, avec la gestion des déchets, la prévention des risques et la réduction des émissions de gaz à effet de serre.
- Le critère social avec la prévention, la formation et le respect du droit du travail, mesuré sur l’ensemble de la chaîne de sous-traitance.
- Le critère de gouvernance qui contrôle l’indépendance du conseil d’administration, la structure de gestion et l’existence d’un comité de vérification des comptes.
La mesure de ces impacts peut être positive, avec la capacité d’une entreprise à reconstruire la biodiversité là où elle est implantée, des engagements sociaux comme la protection de la santé des femmes et des enfants, ou négatifs… et là, pas besoin de vous faire un dessin.
Ces critères ont pris au fil des années un poids croissant dans l’évaluation de la performance globale d’une entreprise. Pour exemple, le géant des fonds d’investissement BlackRock, premier actionnaire d’une entreprise sur cinq aux États-Unis et actionnaire de Total, Sanofi ou encore BNP, s’est fait le héraut du développement durable auprès du monde de la finance et exhorte vigoureusement les entreprises de son portefeuille à adopter des stratégies qui permettent d’œuvrer pour le bien commun.
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Pourquoi un tel engouement du monde de la finance pour les critères ESG ?
« Parce que, comme on dit outre-Atlantique, « Doing good is good for business », explique en souriant Elodie Herbel, cofondatrice du cabinet d’avocats Herbel Avocats, qui accompagne et conseille les entreprises dans leur stratégie ESG. Concernant les bénéfices directs des pratiques ESG, une étude de France Stratégie1 révèle en effet un écart de 13% sur la performance économique entre les entreprises qui mettent en place des pratiques RSE et les autres, et une fidélisation supplémentaire de 60% des clients. « La prise en compte des critères ESG permet en outre d’obtenir plus facilement des financements, et à moindre coût », ajoute Elodie.
Caroline Renoux renchérit « autrefois, ceux qui s’intéressaient au sujet en finance étaient des pionniers, mais ils ont réussi à montrer que prendre en compte ces critères avait du sens en termes de performance. Aujourd’hui, ne pas avoir de politique RSE devient même un frein pour les start-up qui veulent lever des fonds ».
Si je décide que les critères ESG, ce n’est pas mon problème, quels sont les risques ?
« Au-delà des difficultés à trouver des investisseurs, une entreprise qui ignore les critères ESG prend de très grands risques commerciaux, financiers et de réputation, alerte l’avocate Elodie Herbel, ainsi que des risques légaux importants. En plus des normes de « droit souple », comme les Principes Directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, ISO 26000 ou encore le Pacte Mondial, le droit dur s’est structuré sur le sujet. La Loi Grenelle 2 (2010) impose aux entreprises de plus de 500 salariés un reporting extra financier, la Loi Vigilance (2017) la mise en place d’un plan pour prévenir les risques en matière de droits humains, santé et environnement dans toute leur chaîne de sous-traitance ». Elle rappelle la catastrophe du Rana Plaza en 2013 au Bengladesh et ses 1100 morts, qui aurait pu être évitée si des pratiques RSE avaient été mises en place chez les entreprises donneuses d’ordre et leurs fournisseurs.
« Il y a aussi un risque business à négliger les critères ESG », appuie Caroline Renoux. Les consommateurs sont de plus en plus vigilants et exigeants sur la dimension éthique et durable des produits et services qu’ils achètent, tandis que les collaborateurs veulent travailler pour des entreprises soucieuses de préparer l’avenir. « La pérennité de l’entreprise passe donc par une politique RSE solide, car il y a une forte pression de la société civile dans ce sens. »
Stratégie RSE et critères ESG, des « trucs de grand » ?
« Les TPE/PME pourraient ne pas se sentir concernées par la règlementation, qui ne vise aujourd’hui que les grandes entreprises. C’est une erreur puisque ces entreprises doivent justement prendre en compte les actions de leurs fournisseurs, qui sont le plus souvent des TPE/PME », explique Elodie Herbel. Si ce n’est pas encore le cas, ces clients grand compte demanderont bientôt à leurs fournisseurs de leur détailler les actions mises en place pour améliorer leurs critères ESG. Ces derniers deviennent d’ailleurs un facteur de distinction dans les appels d’offres. « La mise en place de pratiques ESG au sein des TPE/PME apporte des garanties de fiabilité et de stabilité aux entreprises donneuses d’ordre, complète Elodie, et ce ressenti peut être transformé en avantage concurrentiel. »
Caroline Renoux confirme et donne l’exemple de l’un de ses clients, une TPE de quinze personnes qui fabrique des uniformes pour le personnel des palaces et grands hôtels. « La dirigeante m’a demandé de lui trouver en urgence un freelance pour s’occuper de sa politique RSE, car ses clients voulaient qu’elle recycle tous ses costumes et déploie un plan d’action RSE. Tout le monde est concerné aujourd’hui ! »
La clé, c’est que chaque start-up, TPE/ PME comprenne où est son impact le plus fort, et modifie son service en fonction pour en retirer de la valeur et améliorer son business. « L’erreur, insiste la chasseuse de têtes, c’est de considérer que la RSE ce sont justes des contraintes, alors que ce sont de formidables opportunités de création de valeur et d’innovation, aussi bien techniques que managériales. »
Qui embaucher pour développer sa stratégie RSE et travailler sur ses critères ESG ?
Réfléchir aux impacts environnementaux et sociétaux de son activité ne s’improvise pas, et nécessite les compétences de profils spécialisés, encore rares sur le marché. Embaucher des acheteurs responsables, qui ont une double compétence à la fois achat et RSE, et qui savent intégrer les critères ESG dans les processus d’achat est une première étape importante. « C’est une fonction clé dans le cadre du devoir de vigilance, explique Caroline Renoux, puisqu’ils savent identifier les fournisseurs qui répondent à ces critères tout en répondant à des contraintes économiques. »
Un Directeur RSE aura, lui, le double rôle de faire respecter les contraintes règlementaires, mais aussi et surtout d’agir au niveau de la gouvernance de l’entreprise pour la faire évoluer vers un business model responsable. Toutefois « Rien n’oblige à embaucher. Les start-up ou les PME peuvent faire appel de manière ponctuelle à des consultants RSE, pour des missions de courte durée pendant lesquelles ils établissent des recommandations pour s’améliorer au niveau RSE », suggère la chasseuse de tête.
Tous ces métiers nécessitent des soft skills très développés, il faut être capable d’expliquer et convaincre tout en travaillant en transverse avec tous les départements. « Contrairement à l’intelligence artificielle ou le digital, personne ne vous déroule le tapis rouge, sourit Caroline. C’est parce qu’on ne réalise pas à quel point une stratégie RSE peut transformer l’entreprise de manière positive. »
Espérons que d’ici peu, le plus difficile ne soit plus de convaincre de la pertinence d’une stratégie RSE, mais plutôt de choisir quelles actions prioriser. Et d’ailleurs, vous, quand est-ce que vous vous y mettez ?
BON À SAVOIR
Il n’est jamais trop tard pour se former. Si le sujet et ses enjeux vous passionnent, de nombreux organismes de formation continue comme la CEGOS, l’université Paris Dauphine ou encore Centrale Supélec proposent des programmes consacrés au développement durable et à la RSE.
1 – Étude France Stratégie, Responsabilité Sociale des entreprises et compétitivité, janvier 2016
MERCI À NOS EXPERTES
Caroline Renoux est fondatrice et dirigeante de BIRDEO, cabinet de recrutement spécialisé sur les nouveaux enjeux sociétaux. Après avoir dirigé plusieurs cabinets orientés sur les profils digitaux, Caroline a choisi de reprendre une formation en développement durable, motivée par des convictions très fortes. BIRDEO propose à la fois du recrutement de profils RSE, mais aussi du placement de freelances pour les entreprises, notamment les start-up et TPE/PME, pour des missions de courte durée.
Après avoir travaillé en entreprise, Elodie Herbel s’est associée avec son père pour créer HERBEL Avocats. Le cabinet défend l’idée qu’une gestion durable et respectueuse des droits humains constitue une opportunité business, et accompagne ses clients dans l’opérationnalisation de leurs pratiques ESG/RSE partout dans le monde. Leur intervention va de la simple relecture d’une politique ESG à la création et au déploiement d’une stratégie intégrée à tous les domaines de l’entreprise.
Article rédigé par Clémentine Garnier pour Wojo