Alors que les discussions sur la réforme du travail portée par la ministre Myriam El Khomri battent leur plein, il peut paraître intéressant de se pencher sur ce qu’est réellement le travail au XXIème siècle. Temps de travail, valeur travail… derrière ces mots usés par les médias, il faut peut-être s’interroger d’abord sur ce qu’est le travail et s’intéresser plus en profondeur à ce que mettent en place des entreprises qui participent aujourd’hui à changer le rapport au travail comme le fait Google par exemple. Espace de travail, management, encadrement du quotidien de travail… beaucoup de choses sont en train de changer dans le monde du travail avec en fond un mot d’ordre clair : travailleur oui, mais humain d’abord !
La valeur travail : au coeur de la préoccupation des Français(es)
Déjà un constat flagrant : la France est un pays pour lequel la valeur du travail est essentielle. Et c’est un constat que vous pouvez faire tous les jours dans votre vie sociale : après avoir décliné son nom, on aborde en général très rapidement la question de sa profession. Notre travail fait partie de notre identité. Et les statistiques confortent cette idée puisque les Français(es) arrivent en première position d’un vaste étude universitaire sur les Européens lorsqu’il s’agit de qualifier l’importance du travail dans leur vie. Ainsi pour 69% des Français, le travail est considéré comme très important dans la vie.
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Quel concept derrière le travail ?
Nous avons donc ici un antagonisme puissant qui se dessine : alors que les Français(es) placent le travail sur un piédestal, la quantité de travail fournie est plutôt faible et largement en deçà de celle d’autres pays. Alors oui ou non, les Français(es) aiment-ils travailler ? Il faut d’abord comprendre que le concept de travail recèle différentes vérités : le travail est un activité créatrice et émancipatrice, il est un facteur de production et enfin la base de notre système social. Le problème viendrait donc d’une tension entre les attentes face à ces différents concepts du travail. Et c’est ce qu’explique Dominique Méda et Patricia Vendramin dans leur ouvrage « La valeur travail au prisme des générations ». Pour les deux auteurs :
« A mesure que décline l’« éthique du travail comme un devoir », on identifie chez les Européens à la fois une montée de l’« éthique de l’épanouissement » portant sur la dimension expressive du travail (réalisation de soi, sentiment d’utilité, etc.), et une persistance des attentes qui touchent à la dimension instrumentale du travail (salaire, sécurité de l’emploi, etc.). Ces attentes de plus en plus expressives se heurtent cependant aux nouvelles formes d’organisation du travail (flexibilité, entreprise-réseau, management par les objectifs, individualisation des carrières, diversification des formes d’emploi, etc.) et à une dégradation générale de l’emploi, marquée par la croissance des contrats temporaires, du temps partiel subi et des horaires atypiques. »
Si le travail plaît donc pour ça capacité à s’épanouir et bien sûr parce qu’il apporte un moyen de subsistance, c’est plus la forme d’organisation du travail qui poserait ainsi problème.
Des formes d’organisation du travail
Les organisations traditionnelles du travail que l’on connaît possèdent en elles beaucoup d’éléments qui génèrent du mal-être : hiérarchisation des rapports humains, dé-responsabilisation des individus dans la chaîne de commande, management par l’objectif… Nos espaces de travail sont également à mettre en cause dans cette déficience de bien-être des travailleurs : les open spaces bruyants et qui empêchent toute intimité, les bureaux sans lumière, ou encore le fameux « cubicle » aliénant des années 80, symbole de l’être humain réduit à une unité de production… On peut également trouver des éléments disciplinants et infantilisants dans beaucoup d’autres accessoires traditionnels du monde du travail : la fameuse pointeuse de l’usine, les horaires fixes d’arrivée au bureau, de déjeuner, les cantines d’entreprise sensées optimisées le temps de déjeuner des employés et leur productivité au détriment de la qualité du repas et de sa convivialité. On n’est pas loin de retrouver dans ces formes traditionnelles d’organisation du travail assez d’éléments pour rapprocher l’entreprise du XXème siècle de ces institutions disciplinaires que le philosophe Michel Foucault décrit si bien dans ses ouvrages. Si l’individu souhaite ainsi s’épanouir dans le travail, comment le peut-il dans une organisation qui le déshumanise, dans un espace qui l’oppresse, embrigadé dans un système disciplinaire qui ne laisse aucune place à la créativité ?
L’ère du bien-être au travail ?
Le vrai problème du travail aujourd’hui n’est donc pas le travailleur, mais bel et bien le manager. Les notions de management déployées dans l’entreprise moderne ne voient dans le travail que sa fonction productive, et sacrifient par la même les autres facette bienfaitrices de ce qu’est le travail. Malgré cet état de fait, on voit apparaître de plus en plus d’initiatives d’entreprises qui mettent le bien-être du travailleur au coeur de leur pré-occupation. L’exemple type, c’est bien entendu Google qui met le bien-être de ses employé au coeur de sa stratégie RH et cela même en France. Google multiplie ainsi les initiatives pour ses employés : espaces détentes, snack à volonté, des repas équilibrés, des réductions pour des salles de sport, la possibilité d’emmener son chien au bureau ou encore les massages gratuits pour les meilleurs employés par exemple… la liste de ces petits « + » auxquels peuvent prétendre les employés de Google ne cesse de s’allonger. Mais ce n’est pas tout, car chez Google, vous pouvez également aménager votre temps de travail comme le souhaitez et consacrer 20% de ce temps à des projets entrepreneurial personnels. C’est comme cela que Gmail est né par exemple. Google est l’exemple type de cette entreprise qui a changé ses lieux de travail pour en faire des espaces agréables, où l’on a envie de passer du temps, qui a changé sa façon de manager en responsabilisant ses équipes et qui a réduit ses règles d’organisations en donnant plus de liberté à ses employés pour que ces derniers se sentent vraiment épanouis.
Ces initiatives ne sont pas uniques et on les trouve également dans d’autres entreprises en France. Au delà de ce que les entreprises proposent plus traditionnellement comme par exemple des crèches d’entreprise, des cafétérias, une attention particulière portée à la décoration, ou la végétalisation des espaces de travail, on trouve de véritables innovations. Chez Microsoft France par exemple, les employés ont accès à une salle de sport directement dans les locaux de l’entreprise. Accenture a conçu un « happenspace » qui hébergent les spectacles et concerts de l’entreprise. Chez«PricewaterCool», on trouve par exemple des fauteuils de massage et des coussins pour la sieste. Total enfin propose même des piscines, une médiathèque et un laboratoire photo.
Toutes ces initiatives éclairent la façon dont on peut revoir le travail tel que nous le connaissons. Reste une question, et non des moindres : ces changements de mentalité qui sont bénéfiques pour les salariés, le sont-elles aussi pour l’entreprise qui évolue sur un marché concurrentiel d’offre et demande ? On peut se dire que si ces entreprises le font, c’est qu’il y a bien une raison. Et en effet, des études montrent clairement l’impact du bien-être au travail sur la productivité : avoir des employés heureux au travail permet de gagner 12% de productivité !
On le voit bien autour de nous, les mentalités changent et la question du bien-être au travail se pose avec force dans l’organisation du travail. Mais au delà du simple calcul économique « bien-être = plus de productivité », peut-être faut-il aussi se demander si ces initiatives ne cachent pas une lame de fond plus large sur la réflexion du rapport de l’être humain au travail. C’est un peu le propos que développe Patrice Duchemin, sociologue de la consommation au CESLA, dans cet interview sur le management à la Google donnée au site Atlantico. Pour lui, il y a effectivement l’apparition d’une idée assez nouvelle dans le monde du travail :
« l’idée que l’être humain doit prendre sa place par rapport au salarié. Avant le salarié était vu sous l’angle de l’efficacité, du rendement, des performances pures. Aujourd’hui de plus en plus d’entreprises prennent également en compte la part d’humanité en chaque salarié, et cela signifie surtout l’expression personnelle. »
Mais Patrice Duchemin souligne également le côté générationnel de ce rapport au travail. Pour lui, le loisir est devenu aussi important que le travail chez les nouvelles générations de travailleurs :
« Le côté « je travaille le plus possible, donc je suis un super-héros », n’existe plus, aujourd’hui celui qui travaille le moins est le plus malin. Les nouvelles générations qui apparaissent dans le marché du travail considèrent les loisirs comme aussi importants que le travail. »
Même si nous ne passons plus que 12% de notre vie au travail au XXIe siècle – bien loin des 40% du début du XXème siècle – cela représente tout de même environ 8 années de notre vie ! Alors pourquoi accepter de les passer dans de mauvaises conditions et pourquoi ne pas ré-organiser notre labeur quotidien en un moment agréable, source d’échange, de créativité, d’épanouissement personnel. Pourquoi accepter de laisser ses habits d’être humain au vestiaire de l’entreprise ?
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