Une blockchain est une technologie de stockage et de transmission numérique qui a pour spécificité d’être non plus hébergée sur un seul serveur, mais sur celui de chaque partie prenante. Imaginez un registre, qui aurait la faculté de se trouver simultanément chez tous les habitants d’un village (allez, oui : c’est presque du Harry Potter). Sur ce registre, l’on pourrait consigner, sous le contrôle de la communauté, tous les échanges en cours ou déjà effectués par les villageois. Ce livre ne pourrait jamais mentir, puisque tout le monde l’a à l’œil et qu’en outre, il faudrait cambrioler toutes les maisons du village pour le falsifier.
Ce n’est pas clair ? Ne raccrochez pas !
Mardi 15 novembre dernier, Alexandre Stachtchenko cofondateur de Blockchain France, a remplacé au pied levé Antoine Yeretzian pour nous expliquer comment marche une blockchain, à quoi elle sert, et quelles sont ses limites[1].
I – Pour tout savoir sur le bitcoin :
Le bitcoin est une monnaie virtuelle lancée en 2008, par le très énigmatique et très inspiré Satoshi Nakamoto. Pour ce faire, ce dernier a dû inventer une technologie qui s’appelle blockchain. Il faut savoir cependant que la blockchain peut avoir d’autres usages (voir plus loin).
L’idée était de pouvoir envoyer de l’argent partout sur la planète en s’affranchissant du joug des banques, dont les taxes sont parfois exorbitantes et les délais de transactions peu commodes.
Le bitcoin permet donc de s’échanger de l’argent de pair à pair en toute sécurité mais… sans qu’il soit nécessaire d’avoir confiance l’un dans l’autre. Autrement dit, exactement comme lorsque nous payons en cash : c’est sûr, c’est gratuit et on n’a pas besoin de se connaître.
Ce qu’il faut savoir pour briller en société :
Le bitcoin existe depuis 8 ans et il continue d’enquiquiner les juristes. La France aurait tendance à le considérer comme une monnaie, l’Europe comme un actif, à moins que ce ne soit l’inverse ? Bref, cela donne mal à la tête. Aux US même, les politiques des États varient.
Il est faux de dire que le bitcoin encourage le blanchiment d’argent ou le marché noir : de ce point de vue il n’offre ni plus ni moins de garantie ou d’opacité que n’importe quelle monnaie. Comme vous le comprendrez plus loin, il permet en revanche de tracer les biens de façon inviolable (diamants propres, bois exotiques etc.)
Actuellement 1 bitcoin vaut 710,45 €, mais il faut bien savoir qu’il n’y a pas de politique monétaire : seules l’offre et la demande fixent sa valeur. Cette dernière est donc extrêmement fluctuante et difficilement prévisible. Le nombre de Bitcoins émis a été plafonné à 21 millions par Satoshi himself (à moins que ce ne soit herself, comme le fait justement remarquer Alexandre 😉 : ce plafond devrait être atteint en 2140.
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II – Et maintenant, parlons de la blockchain (mettez vos ceintures et accrochez-vous) :
Nous avons donc dit que S. Nakamoto avait dû développer une technologie très spéciale pour permettre au monde de s’échanger des bitcoins de pair à pair : la blockchain.
Révolution 1 : pour comprendre ce que cela a de dingue, il faut savoir que techniquement, internet est le lieu par excellence où tout se duplique… (je partage/j’envoie un fichier : mon fichier est ailleurs, mais aussi toujours sur mon ordinateur, n’est-ce pas ?).
Satoshi a donc dû développer un système dans le lequel, lorsque l’on donne (de l’argent) à quelqu’un, on ne l’a plus. Autrement dit un système qui interdit de dupliquer.
Révolution 2 : Super, Alex ! Mais moi, qui suis près de mes sous, je suis craintive et donc « j’aime » passer par l’intermédiaire de ma banque pour avoir des garanties (même si je dois payer pour cela).
Et bien en fait, dans le monde blockchain on n’a pas besoin de garantie, car techniquement les malversations sont impossibles.
Quoi, mon œil ?! Dans une blockchain, c’est toute la communauté qui contrôle, autorise et surveille les transactions. Pour détourner le système il faudrait donc que tout le monde soit complice : cette dimension collégiale, ajoutée au fait que l’historique soit stocké chez tout le monde à la fois, vaut tous les systèmes de sécurité de votre banque !
Rassurez-vous, ce n’est pas Big Brother : tout le réseau « voit » effectivement qui fait quoi, mais en mode crypté (et croyez-moi ce n’est pas comme regarder Canal+ sans décodeur). Ajoutez à cela que vous-même utilisez un pseudonyme…
Comment ça ?
Gardez en tête qu’une blockchain est hébergée sur les ordinateurs de tous les membres de sa communauté.
Elle se compose :
– de nœuds = d’ordinateurs qui l’hébergent,
– de mineurs = des nœuds qui sont volontaires pour travailler (techniquement : trouver des solutions à des problèmes cryptographiques pour valider des blocs de transaction et vérifier leur intégrité),
– de blocs = des demandes de transactions regroupées, pour être traitées simultanément par les mineurs. Une fois les blocs validés, ils sont mis en ligne sur le réseau (chez toutes de nœuds).
Le processus est le suivant :
– étapes 1 et 2 = les utilisateurs demandent à effectuer des transactions, elles sont stockées dans un bloc en cours,
– étape 3 = le contenu de ce bloc est étudié par les mineurs, puis validé par toute la communauté (sur proposition de l’un des mineurs qui aura fait sa preuve de travail),
– étape 4 = le bloc ainsi validé est diffusé sur le réseau à la suite du précédent : il est alors impossible de le modifier, car il faudrait le faire chez tout le monde,
– étape 5 = les utilisateurs reçoivent leur transaction, pendant qu’un nouveau bloc de demandes se constitue…
L’on comprend donc qu’une blockchain :
– fonctionne comme une base de données et grossit donc constamment. Ainsi, la blockchain Bitcoin, qui existe donc depuis 2008, est la somme de l’historique de toutes les transactions effectuées en bitcoins depuis l’origine,
– est partagée avec une communauté non centralisée (tout le monde a la connaissance de tout et tout le monde doit être d’accord sur tout),
– présente une structure de données inaltérable, grâce à son archivage séquentiel toutes les dix minutes.
Comment ça se passe vraiment ?
Attention on rentre dans le détail. Imaginons que vous souhaitiez m’offrir un diamant pour Noël. Le joaillier procède avec une blockchain (on vous expliquera plus tard pourquoi il a opté pour cette technologie).
1 – Vous émettez une demande :
… en vous rendant place Vendôme pour dire au joaillier que vous voulez m’acheter un diamant : vous remplissez un formulaire. Instantanément ses amis d’Anvers sont prévenus ( = vous notifiez votre demande de transaction à tout un réseau, et non pas à un seul bijoutier puisque ce dernier fait partie d’une communauté blockchain),
2 – Contrôle de légalité !
Pas fous, ces derniers vont d’abord vérifier que vous êtes en mesure de payer rubis sur l’ongle : leurs comptables (les nœuds de la blockchain) vont remonter tout l’historique des transactions vous concernant afin de s’assurer vous êtes effectivement en possession de la somme requise,
3 – Concours de haut niveau :
Si tout est ok, ils vont classer votre formulaire avec les autres requêtes, dans un casier de « demandes de transactions », appelé bloc (= un ensemble de transactions en attente de validation). Rappelons à ce stade que ce casier a la faculté de se trouver simultanément chez tous les membres de la communauté (à Paris et à Anvers). Comme vous n’êtes pas le seul à vouloir m’offrir un diamant, sachez que la taille d’un bloc est plafonnée à 1Mo.
La comptable en chef lance un concours de maths entre collègues volontaires, appelés mineurs : F(A) = B, je vous donne B, trouvez A, sachant que la fonction F n’est pas linéaire. La seule façon de trouver la réponse est d’itérer (sympa, la blockchain veut quand même que j’aie mon diamant avant les calendes grecques, donc elle va automatiquement ajuster la complexité de la fonction F au nombre de mineurs disponibles pour y travailler).
4 – Le bloc est validé :
Quand un mineur a trouvé A, tous ses collègues dépités vérifient que sa réponse est bonne (F(a) = B), car la notion de consensus est, encore une fois, essentielle. Et lorsque tout le monde est ok pour dire que le mineur xAb5ttY-007 a effectivement la bonne réponse (quelques secondes), il empoche 12,5 bitcoins car tout travail mérite salaire, et…
… les formulaires de son bloc reçoivent un coup de tampon « bon pour accord » à l’encre indélébile. Le bloc peut être archivé (= le bloc validé est partagé sur le réseau) !
Bravo, vous pouvez passer chercher mon diamant à la boutique place Vendôme, pendant qu’un autre bloc est aussitôt ouvert pour répondre à l’affût de demandes…
III – Comment ça, so what ?
Lorsqu’une blockchain est mise en œuvre à des fins publiques, elle présente les vertus suivantes :
– elle est ouverte à tous : pas besoin de faire partie d’un club pour demander à voir (enfin, il faut un ordi, l’électricité et une connexion internet quand même 😉
– toute la communauté voit ce qui se passe
– tout le monde valide les actions (pas de hiérarchie)
– pour ceux qui le souhaitent : le statut de mineur est accessible à tous et il est même rémunéré (attention, seulement si vous parvenez à valider un bloc : vous gagnez alors 12,5 bitcoins soit 8900 € environ).
– elle dépend à la fois de tout le monde et personne (donc pas de centralisation de données, ni de dépendance envers un hébergeur : pas de serveur qui plante, pas de monopole).
En résumé, elle offre toutes les garanties pour que les utilisateurs lui fassent confiance : voilà pourquoi il n’est pas nécessaire d‘avoir confiance en votre interlocuteur. C’est la blockchain qui est garante.
Donc… imaginez un peu l’intérêt en termes d’organisations d’élections, de dépôts de brevets, ou de transferts de fonds humanitaires.
Pour une entreprise qui met en œuvre une blockchain à des fins privées, l’intérêt réside dans la transparence relative que cette technologique rend possible. Relative, puisqu’elle va personnaliser sa blockchain et en fixer les règles à sa convenance (qui a le droit d’être mineur, quelle est la taille d’un bloc etc.) et limiter les adhésions.
Tel le chercheur qui a trouvé un truc de dingue, je me dis :
« ok c’est top, mais à quoi ça va bien pouvoir me servir ? »
On l’a dit, l’usage le plus évident, ce sont les transactions (les transferts d’actifs), rapides et peu onéreuses.
Exemple : si, après avoir gagné au PMU, vous souhaitez envoyer 2000 € à votre cousin australien pour l’inviter à sauter dans le prochain vol pour Paris :
– il vous en coûtera 200 € en passant par Western Union,
– votre cousin devra patienter 3 à 4 jours pour voir son compte crédité,
= non seulement il loupera le match France-Australie au stade de France, mais il n’aura assez pour se payer le taxi à l’arrivée.
En revanche, si vous convertissez vos 2000 € en bitcoins (1 bitcoin = 710,45 €), il ne vous en coûtera que 7 centimes d’euros, et le transfert se fera en une dizaine de minutes : il pourra même vous offrir un verre en arrivant !
Deuxièmement, puisque la blockchain se compose d’une chaîne de blocs inviolables et consultables à tout moment, cela peut aussi servir à horodater et enregistrer : les droits d’auteurs, les brevets… les diamants J
Citons Everledger, qui a initié en 2015 un projet consistant à « tokeniser » les diamants en les gravant, afin de garantir leur origine et leur traçabilité : tous les échanges sont digitalement enregistrés et suivis dans une blockchain, permettant aux propriétaires légaux et à leurs cailloux d’être identifiés et suivis en toute transparence…
Ascribe, pour sa part, permet aux artistes d’établir leur paternité grâce à la mise en ligne d’une licence établissant leurs droits d’auteurs.
Enfin troisième usage : les smart contracts.
Saviez-vous que 60 % des assurés ne font pas la démarche de réclamer leurs dédommagements en cas de retard/annulations de vol ? Flemme du dimanche, méconnaissance de ses droits etc. : c’est tout de même dommage.
Ainsi Insureth propose désormais des assurances qui créditent votre compte automatiquement sans qu’il soit nécessaire de réclamer : votre vol a été annulé, vous avez été victime de catastrophe naturelle ? Plus de paperasserie, plus de date butoir pour faire sa réclamation, plus de délais insupportables pour être dédommagé… J
Certains comme Stratumn réfléchissent même à une assurance des smartphone, appareils photo… de pair à pair (sans passer par la case assurance, pas bête) !
IV – Les limites de la blockchain
Avis aux cadors de l’informatique, la technologie blockchain demande à être améliorée !
D’abord, vous l’aurez compris, elle est compliquée et carrément absconse : certaines start-up développent des plateformes plus simples et ergonomiques, mais …hum. Ce n’est pas demain que je serai mineur, je vous le dis.
Sachez donc qu’il faut être plus qu’averti en codage et cryptographie pour espérer créer ou même rejoindre une blockchain (et dans ce système hautement sécurisé, sachez que le mot de passe qui vous sera délivré ne sera pas personnalisable : si vous le perdez, c’est SFYL[2] !!! Fichu, quoi)
Ensuite, tous les ordinateurs ne peuvent pas héberger une blockchain : cette dernière étant vouée à grossir indéfiniment, il arrive un moment où seuls des serveurs conséquents peuvent faire face… Certaines start-ups ont d’ailleurs construit leur business sur la validation de blocs. Fort heureusement, le système se régule de lui-même, car : lorsqu’un acteur détient à lui seul 51% de la puissance de calcul de son réseau, il se retire. En effet, aller au-delà revendrait à compromettre la sécurité du réseau (qui repose entre autres sur la décentralisation)… et donc à faire chuter la valeur du bitcoin.
Concernant les transactions : actuellement, la blockchain bitcoin traite au maximum sept transactions par seconde, contre 10 000/sec pour Visa. C’est donc beaucoup trop peu pour entrer dans les usages : si tout le monde se mettait à payer en bitcoin, la blockchain serait immédiatement saturée !
Et pour les transferts d’actifs, encore faut-il ouvrir un relai bitcoin là où l’on veut envoyer de l’argent…
En termes de responsabilité enfin, le système est victime de ses vertus : puisque toutes les parties prenantes sont sur un pied d’égalité, vers qui se tourner en cas de problème ? Pire : puisque le consensus est incontournable, comment modifier le fonctionnement d’une blockchain s’il s’avère qu’elle ne sert plus l’intérêt général ? Et si les codeurs avertis sont si peu nombreux, comment puis-je être certaine de ce qu’ils me font faire (car certes je donne mon avis sur tout, mais si je n’y comprends rien, je deviens aisément manipulable).
Passionnant, non ? Comme toute innovation, elle ouvre des perspectives réjouissantes et effraie tout à la fois.
Que nous reste-t-il à faire ? Essayer d’y comprendre quelque chose, bien sûr, s’accrocher au sujet… et débattre ! Heureusement qu’il y a des gentils comme Blockchain France pour nous expliquer simplement les choses et nous mettre le pied à l’étrier 😉 Sachez d’ailleurs que si vous avez une entreprise qui pourrait utilement recourir à une blockchain, ou une idée de smart contract, Blockchain France vous conseille et vous accompagne pour mettre en place un prototype sur-mesure.
[1] – Vidéo sur https://www.youtube.com/watch?v=rk_xbzF9kww&t=2027s
[2] – Sorry for your loss