Isabelle Rappart, fondatrice de la société Happy Work et Bastoun Talec, sculpteur de WHY, sont venus chez Wojo Gare de Lyon, nous présenter les grandes lignes de ce qu’est l’holacratie, ce mode de management en cercles (testé chez Danone, BNP Paribas, Decathlon village…), qui redonne le pouvoir aux collaborateurs et obtient des résultats sidérants, notamment en termes de motivation et d’efficience. On vous raconte ?

Pour la petite histoire…

L’holacratie est un système d’organisation de la gouvernance fondé sur l’intelligence collective. Elle est « sortie de l’ombre » en 2007, grâce au Wall Street Journal, qui consacra alors un article à son « inventeur », Brian Robertson.

Pour en comprendre le principe, il faut savoir que ce dernier s’est inspiré de l’holarchie, inventée par l’auteur et journaliste Arthur Koestler (The Ghost in the Machine, 1967) : elle se compose de holôns, des entités conscientes, autonomes et indépendantes, mais néanmoins reliées à une entité supérieure dont elles font partie, et qu’elles contribuent à édifier.

Brian Robertson, qui cherchait notamment un moyen de limiter les pressions considérables exercées sur les individus dotés de postes à responsabilité, tout en remotivant l’ensemble de ses effectifs, vit là une façon de penser les organisations pleines de potentiel. En 2001, il commença donc à expérimenter ce qui s’appellerait un jour l’holacratie au sein de son entreprise (Ternary Software), en réinvestissant ses collaborateurs et leur donnant, à tous, les pleins pouvoirs dans leurs rôles.

En 2010, B. Roberston publie la Holacracy constitution, qui pose et définit les principes fondamentaux de la démarche : à l’époque, ce nouveau style de management holomidal renverse complètement le management traditionnel… dans la mesure où il balaie littéralement l’organisation pyramidale à laquelle la plupart d’entre nous sommes habitués, sans pour autant renoncer à la hiérarchie.

Selon Bastoun Talec, il est essentiel de bien saisir que ce mode de gouvernance (encore tout jeune et toujours en mouvement puisque nous en sommes aujourd’hui à la version n° 4) a grandi, et s’est construit, jour après jour au sein de l’entreprise de B. Robertson… Voilà pourquoi Bastoun insiste sur le fait que :

L’holacratie est d’abord une pratique, plus qu’un concept.

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    Fini les pyramides, bonjour les cercles

    L’holacratie a pour objectif premier de faire de l’entreprise un tout, qui fonctionne non pas avec une tête unique (un chef, qui doit laborieusement faire part de ses décisions en cascade), mais plutôt comme une multitude symbiotique, à même de fonctionner comme une entité globale, à l’instar des oiseaux ou des bancs de poissons…

    Nous avons tous vu un essaim d’oiseaux changer de direction en un clin d’œil… Croyez-vous vraiment qu’une telle agilité serait possible, s’il y avait dans cette nuée « un chef d’escadron » qui décide de modifier le cap et fasse transmettre la consigne à ses milliers de congénères ? Comment des centaines d’individus, doués de libre arbitre et sans aucune affinité particulière les uns avec les autres, parviennent-ils à fonctionner ainsi ensemble et de façon instantanée ?

    L’holacratie essaie de faire en sorte que l’entreprise soit aussi réactive, souple et pertinente qu’un essaim d’oiseaux… Pour y parvenir, elle se compose de quatre principes.

    Les quatre grands principes de l’holacratie

    1 — La constitution définit les « règles du jeu » et redistribue l’autorité.

    Bastoun Talec, qui compare l’entrée en holacratie à un serious game, nous rappelle que ces règles sont vertueuses : elles permettent de poser un cadre, apporter des réponses claires et éviter ainsi la déperdition d’énergie. Et au passage, elles donnent de l’intérêt au « jeu » !

    Dès que l’entreprise entre en holacratie, chacun se soumet aux mêmes règles : la notion de hiérarchie n’est plus un sujet (même si elle existe toujours), puisque chacun suit les mêmes lois, a les mêmes responsabilités et la même liberté pour accomplir sa mission…

    2 — L’organisation de l’entreprise est totalement repensée, pour s’aligner sur « la raison d’être », comprenez « le potentiel créateur » que cette organisation est à même d’exprimer, compte tenu de toutes ces capacités (moyens, ressources, compétences, talents, gouvernance, etc.).

    Une fois clarifiée, cette raison d’être permet de remobiliser les effectifs, qui redécouvrent ce pour quoi ils sont là, et prennent conscience de leur importance.

    « Ce qui est toxique, ce n’est pas le désaccord, mais plutôt le malentendu.

    Il faut donc clarifier qui fait quoi. »

    (Bastoun Talec)

    Concrètement, lorsque Isabelle Rappart commence son accompagnement au sein d’une entreprise, elle transcrit l’organisation de cette dernière en « rôles ». C’est une façon de décrire la réalité des opérations en mettant l’accent sur la mission de chaque rôle et ses redevabilités, c’est à dire, ce que l’organisation attend du rôle pour persévérer dans sa raison d’être. Les rôles se distribuent au sein de sphères d’autorité ou cercles (que l’on peut assimiler à un département), qui sont eux-mêmes englobés dans un cercle plus grand. Pour être cohérent, un cercle doit posséder tous les rôles dont il a besoin pour mener à bien sa mission.

    Une telle démarche se construit sur la base du dialogue et ne fonctionne qu’à partir du moment où la personne qui accepte/choisit un rôle est compétente. Elle permet de remettre les missions de chacun à plat et de clarifier les domaines d’intervention, qui deviennent alors des chasses gardées.

    Au sein de chaque cercle, un « facilitateur » est élu (par des élections sans candidat).

    L’organigramme ressemble alors à ceci :

    Chaque détenteur d’un rôle a tout pouvoir de décision pour accomplir son travail, restituant ainsi l’autonomie et le sens des responsabilités partout et de façon homogène.

    Précisons que ce, ou ces rôles (une même personne peut en effet en avoir plusieurs et de fait appartenir à plusieurs cercles) peuvent être actualisés, et évoluer en permanence : Le contenu de chaque rôle est validé collectivement lors des réunions de gouvernance de chaque cercle, ce qui permet au détenteur du rôle de se sentir légitime (et d’avoir une totale confiance en ses compétences). Le premier lien décide de l’attribution des rôles aux personnes.

    3 — Une réunion de gouvernance : programmée toutes les six semaines au sein de chaque cercle, elle permet de clarifier l’organisation de l’entreprise et la définition des rôles (manquants, ou à redistribuer), mais avec un mode de réflexion particulier.

    Comme nous l’explique Bastoun Talec, nous touchons là à l’une des notions clés de l’holacratie : au cours de ces réunions, l’on dessine l’organisation en (re)définissant les rôles en établissant des politiques communes au cercle.

    La plus-value de l’holacratie réside alors dans la rapidité et la simplicité avec laquelle les mesures peuvent être prises.

    4 — Un processus de réunions opérationnelles, appelé « réunions de triage » hebdomadaires et comparables aux « points d’équipe ». Elles ont pour objet de lever les contraintes qui bloqueraient le travail, et synchroniser les équipes. Il s’agit de se positionner cette fois dans l’organisation et d’agir dans son rôle.

    Là encore, chacun « apporte ses tensions », qui seront partagées, provoqueront des actions et donneront naissance à de nouveaux projets… Vous l‘aurez compris, la tension n’a rien de contrariant ou conflictuel dans le cas présent : il s’agit de qualifier « ce qui est » et « ce qui pourrait être ».

    L’être humain n’a pas son pareil pour imaginer « ce qui pourrait être. »

    (Isabelle Rappart)

    Il s’avère qu’un tel mode de pensée permet de gagner en efficacité et en agilité de façon significative, dans la mesure où les tensions exprimées permettent/imposent de s’ajuster en permanence, mais de façon très souple… l’on se rapproche alors de l’agilité de notre essaim d’oiseaux.

    Il n’y a pas d’ordre du jour, mais là encore, un mode de réflexion par tension. Rappelons que, du moment que les fondamentaux sont respectés (ma décision heurte-t-elle, ou non, la raison d’être énoncée plu haut ?), tout est possible : chacun est libre d’accomplir sa mission comme il se souhaite.

    Les règles étant clairement énoncées dans la constitution, et la raison d’être à l’esprit, il devient très simple pour le collaborateur de savoir ce qu’il peut, ou ne peut pas faire pour mener à bien sa mission.

    Il faut savoir que ces réunions sont extrêmement processées, et requièrent un consultant pour être mises en place. Mais Isabelle Rappart nous explique qu’au bout d’environ dix semaines, les cercles sont autonomes !

    Voilà, vous en savez un peu plus sur l’holacratie !

    Sachez que pour être mise en œuvre au sein d’une entreprise, il est indispensable d’avoir l’accord des actionnaires, des managers déterminés, du temps (car on n’entre pas en holacratie en deux temps trois mouvements) et enfin être tutoré… Le middle management est généralement le plus impacté et doit souvent être accompagné, dans la mesure où l’holacratie rend chaque collaborateur très indépendant et autonome… il faut tantôt savoir lâcher prise, tantôt savoir prendre des initiatives.

    Pour ceux qui préfèrent les images, nous vous renvoyons vers la bande-dessinée disponible en ligne.

    Pour ceux qui veulent tout savoir, mais sont plus à l’aise dans la langue de Molière sachez que La Révolution holacratie, de Brian J. Roberston, a été traduit en français et publié en 2016 aux éditions Leduc Alisio.

    À propos de

    Isabelle Rappart
    Isabelle a découvert l’holacratie en la testant dans sa propre société de conseil en réduction de l’impact carbone (Climat Mundi) en 2013 : stupéfaite par les résultats et le potentiel d’une telle méthode, elle a décidé de se former afin de devenir coach certifiée.
    En 2014, elle a fondé Happy Work, qui accompagne les entreprises dans la transformation de leur management.

    Bastoun Talec
    Sculpteur de why : « En effet, les gens parlent volontiers de la façon dont ils font les choses, mais décrire pourquoi ils les font, est une autre affaire… »
    Bastoun a cofondé et dirigé CSUPER, première agence de communication alternative en France puis a inventé la communication alignée.
    Fortement mobilisé par les concepts de l’entreprise agile/apprenante, il anime régulièrement des tables rondes sur le sujet. Il pratique l’holacratie.

    Au fait, chez Wojo on ne fait pas qu’écrire !

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