Connaître le salaire de votre patron ou de votre voisin de bureau, ça vous dit ? Oh que oui ! Et dire à vos copains d’open space combien vous, vous gagnez, vous seriez partant aussi ? Ah, ça, non. La transparence progresse en entreprise, mais est-on prêt à tout se dire, vraiment tout ? Entre projet de loi et souhaits des salariés, on fait le point.
70 % des Français1 sont favorables à la publication des écarts de salaires par niveau dans les grandes entreprises. Oui, mais… 80 % des salariés2 ne sont pas prêts à divulguer leur salaire ! Allez-y, vous pouvez rire. Certes, les études ont été menées sur des populations différentes, la France et les États-Unis, mais ces chiffres contradictoires révèlent la complexité et les tabous persistants qui entourent la question de la rémunération.
La transparence, une question très tendance
Dans les tendances RH à suivre pour 2018, le Top Employers Institute souligne le besoin grandissant en matière de transparence sur la rémunération des collaborateurs, soutenu par les générations Y et Z qui ne se satisfont plus des « C’est comme ça et puis c’est tout ». Cela se traduit par deux axes de changement : la mise à disposition au sein de l’entreprise du salaire de chaque personne, accompagné d’une explication, et la possibilité pour les salariés de négocier, voire d’établir directement, le montant de leur salaire.
Les politiques en ont pris la mesure, comme le montre l’amendement adopté par les députés début octobre dans le cadre de l’examen de la loi Pacte. Il rend obligatoire — pour les entreprises cotées en Bourse et domiciliées en France, soit 800 sociétés environ, restons calmes — la publication de l’écart entre le salaire de leurs dirigeants, le salaire moyen et le salaire médian. Une mesure jugée insuffisante par l’ONG Ofxam, fondée par Cécile Duflot qui réclame a minima la transparence sur les écarts de salaire par quartiles afin d’obtenir une photographie plus fine du paysage salarial de l’entreprise. Vous n’avez jamais entendu parler des quartiles ? Ils permettent de découper en tranche de 25% les niveaux de salaires dans l’entreprise : le salaire au-dessus duquel se situent 75 % des salariés, puis 50 % des salariés, puis 25 % des salariés.
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Il y a transparence et transparence
De plus en plus d’entreprises prennent la mesure des attentes des salariés sur le sujet, déploient des politiques plus ou moins abouties en matière de transparence.
Certaines se contentent de mieux communiquer auprès des collaborateurs sur la composition de leur package (primes, variable, avantages en nature ou sociaux). Cette démarche valorise la totalité de la rémunération, souvent perçue de manière incomplète par les salariés, qui s’arrêtent au montant inscrit en bas de leur feuille de salaire. Ces informations restent confidentielles dans la très grande majorité des cas.
D’autres mettent l’accent sur le lien entre performance et rémunération, notamment en détaillant les primes et augmentations. Ces informations peuvent rester confidentielles avec le collaborateur concerné, ou être divulguées à l’ensemble des salariés pour montrer que le travail paie.
Certaines entreprises, pionnières sur le sujet, font carrément le choix de rendre publique leur grille de salaires. Pas de secret, pas de mystère : les salaires de tout le monde, du PDG au responsable courrier, sont publics.
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Des vertus de la transparence sur les salaires
Lever le voile sur les salaires comporte bien des avantages, soulignent les défenseurs de la transparence. S’inscrire dans la transparence oblige les entreprises à justifier les critères de la grille de rémunération, et à sortir d’une certaine opacité dans la négociation des primes et augmentations qui alimente des rancœurs et frustrations (parfois injustifiées) dans l’entreprise. Cela fournit une grille de comparaison objective aux salariés sur les écarts salariaux, et met fin aux bruits de couloirs. La question de l’égalité salariale entre les hommes et les femmes est également centrale, car comment justifier publiquement un écart persistant de près de 10 %3 en France ? Rappelons qu’à partir du mardi 6 novembre 2018 à 15h354, eût égard à ces écarts salariaux, les Françaises travailleront bénévolement jusqu’à la fin de l’année. On pose juste ça là, en passant…
« Et toi, tu gagnes combien ? », la question qui fâche
C’est très bien tout ça, mais les salariés sont-ils vraiment prêts à cette transparence ? Pas vraiment, si l’on en croit une expérience menée par deux chercheurs américains auprès de 752 employés2 d’une banque commerciale. 69 % d’entre eux trouvent « socialement inacceptable » de demander son salaire à un collègue… et 80 % ne veulent pas partager cette information avec leurs pairs. Pourquoi ? Freud explique ce tabou en reliant l’argent à nos frustrations et nos impuissances, quand la sociologue Janine Mossuz-Lavau explique dans une interview accordée à Psychologies que nos racines paysannes, catholiques et l’héritage marxiste font que le profit est souvent considéré comme immoral. Chez beaucoup de salariés, divulguer son salaire suscite aussi la crainte d’être jugé en fonction de ce qu’ils valent : trop ou pas assez ? Sans oublier la notion de comparaison avec son voisin : si je suis moins bien payé(e) que lui, suis-je moins compétent ? Ou moins bien reconnu ? Autant de questions que peu de salariés ont envie d’affronter, préférant la politique de l’autruche et alimentant l’omerta sur ce sujet.
Quand les entreprises prennent les devants
Des pionniers prennent le taureau par les cornes et décident pour leurs salariés en rendant publiques leurs grilles de salaire, en interne voire en externe chez certains. Outre-Atlantique, la plateforme de gestion des réseaux sociaux Buffer publie carrément les salaires de ses équipes sur Internet. Le mode de calcul est limpide : type d’emploi, coût de la vie selon la localisation et expérience des collaborateurs correspondent à des coefficients modérateurs. C’est simple, net et coupe court à toute revendication.
Dans l’Hexagone, l’entreprise Lucca, éditrice de solutions d’automatisation des process RH, note chaque salarié tout au long de l’année selon des critères de performances. La note finale correspond à un pourcentage d’augmentation. Si le salarié estime mériter plus, il peut défendre ses prétentions en réunion auprès de ses collègues et son patron, qui prennent alors une décision collective. Même le dirigeant est soumis à cette règle, et ne s’augmente pas à sa guise. Tous les salaires sont par ailleurs rendus publics via une application interne.
Chez Prospheres, cabinet spécialisé en redressement d’entreprises, le PDG Michel Rességuier a mis en place un système original. Tout le monde perçoit le même salaire, ce qui équivaut souvent pour les nouveaux collaborateurs à baisser leur rémunération en arrivant. Après trois ans d’ancienneté, ils reçoivent ensuite des bonus calculés sur leur contribution aux résultats de l’entreprise. Afin de garantir l’objectivité de la démarche, Michel Rességuier a confié cette tâche à un comité de cinq personnes, renouvelé partiellement chaque année. Le montant des bonus accordé est consultable auprès de la comptabilité sur simple demande.
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Alors, on y va ou pas ?
Ceux qui doivent se poser la question sont les dirigeants. À l’heure où les polémiques sur les parachutes dorés des grands patrons agitent régulièrement les sphères médiatique et économique, la transparence des salaires implique des niveaux de rémunération et d’augmentation des dirigeants susceptibles d’être jugés acceptables par les salariés. Gilles Satgé, PDG de Lucca, l’explique dans une interview accordée à Europe 1 : « Je ne peux pas m’augmenter autant que je veux, on me surveille. Si les salaires n’étaient pas publics, je gagnerais 20 ou 30 % de plus qu’actuellement ». Mais il tient à cette transparence qui participe au bon fonctionnement de son entreprise.
Geoffroy Roux de Bézieux, président du Medef depuis l’été 2018, écrivait déjà en 2007 dans son livre Salauds de patrons (éditions Hachette), à propos des retraites complémentaires et des parachutes dorés : « Nous vivons à l’ère de la transparence dans tous les domaines de la société, et rien n’est pire que de cacher les choses. “Pour vivre heureux, vivons cachés” a longtemps été la devise du patronat français ; cela n’est plus tenable aujourd’hui. » Dont acte ?
Les bonnes idées à transposer chez vous
Vous vous demandez comment impulser le changement dans votre entreprise ? Poursuivez la réflexion avec ces quelques idées de lectures inspirantes sur notre rapport à l’argent et la construction d’une politique de rémunération.
- Pour construire votre plan de rémunération : Avantages sociaux et rémunération globale – Pour une meilleure marque employeur, de Sophie Cavaliero et Clotilde François, éditions Dunod, juillet 2017, 22 € en broché et 14,99 € en e-book.
- Pour apaiser et assainir votre relation à l’argent : Soignez vos problèmes d’argent, de Philippe Geoffroy, éditions Maxima, 2009, 19,80 €.
1 — Sondage Harris Interactive pour l’ONG Oxfam, octobre 2018.
2 — Cullen, Zoë B., and Ricardo Perez-Truglia. « The Salary Taboo: Privacy Norms and the Diffusion of Information. » NBER Working Paper Series, No. 25145, October 2018.
3 – Source OCDE, 2016
4 — Source Les Glorieuses
Article rédigé par Clémentine Garnier pour
Wojo, Business Humanizer