Tous les freelances, travailleurs indépendants et autres consultants ont un jour ou l’autre été sollicités pour travailler gratuitement. Par des proches, des prospects, un client qui joue la carte de la fidélisation pour obtenir une fleur. Ici commence le dilemme : faut-il accepter ou refuser la mission ? On en parle avec des pros du sujet.

« On a vraiment besoin de cet article / ce logo / cette recommandation, mais pour l’instant, on n’a pas le budget pour te rémunérer ». « On n’a pas d’argent, mais le projet est vraiment unique, il va te donner une belle visibilité ! » « Pour ce premier projet, on n’a pas de budget, mais si tout se passe bien, on en aura plein d’autres à te proposer ensuite ». Si vous êtes entrepreneur et / ou indépendant, il y a fort à parier que vous avez déjà entendu ce genre de discours.

Accepter de travailler gratuitement ou pas, telle est la question

Bouh, voici une question bien épineuse… Vaut-il mieux accepter et fidéliser ce client qui pourra peut-être vous payer un jour ? Ou en chercher de nouveaux qui vous paieront quand vous les aurez trouvés ? Faut-il défendre coûte que coûte la valeur de son travail ou faire un compromis en pariant sur l’avenir ? Est-il préférable de refuser, au risque de contrarier ce client et de ne plus jamais entendre parler de lui ? Et prend-on le risque de vexer ce copain ou cette cousine qui nous demande « juste un petit service » en lui expliquant que c’est notre métier (qui paie notre loyer) et pas un hobby ? On pourrait être tenté de répondre de manière tranchée, mais en creusant le sujet, on réalise que tout est question de timing et d’appréciation.

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    Ce qui ne se paie pas ne vaut rien

    Voici un adage que nombre d’indépendants tentés par une petite mission gratuite pour boucher un trou de planning ou faire décoller leur activité devraient placarder au-dessus de leur ordinateur.

    « Quand on démarre dans une activité, il faut parfois en passer par là pour montrer ce que l’on sait faire, mais le travail gratuit n’est jamais générateur de business », explique Camille Garnier, DA et freelance depuis dix ans. Un point de vue partagée par Alexandre Gaertner, coach en développement commercial : « Payer et faire payer donne de la valeur aux choses ; et surtout, cela suscite de l’engagement ! Malheureusement dans notre société, ce qui n’a pas de prix n’a pas (ou peu) de valeur. Alors ? » Alors, répondent-ils d’une seule voix, le client doit payer, même un prix symbolique. « Quand j’accepte de faire une réduction exceptionnelle, j’affiche toujours le vrai prix des choses sur mon devis, et j’applique un pourcentage de réduction sur l’ensemble de manière visible, détaille Camille. Cela éduque le client, car sinon comment lui expliquer que tu lui fais payer son deuxième logo 1000 € alors qu’il a eu le premier pour 300 € ? »

    Le critique de musique Barney Hoskins, cofondateur de Rock’s Backpages, va même plus loin dans un manifesto en déclarant qu’il sera impossible de se faire payer quoi que ce soit si on déjà démontré que ce travail n’avait aucune valeur en acceptant de le faire pour rien. « On met en péril le futur de ses aînés, mais surtout son propre avenir à long-terme », argumente-t-il avec fougue. On est plutôt d’accord, d’autant plus que rares sont les expériences de travail gratuit qui s’avèrent concluantes.

    Quand bosser gratos tourne au vinaigre

    « Il y a des entreprises qui abusent, regrette Arnaud Colaert, qui dirige Valuego Consulting, une structure qui place des consultants auprès des entreprises. Certaines demandent un travail gratuit, en promettant de voir après si cela transforme. D’autres montent des appels d’offres non rémunérés pour pouvoir récupérer de bonnes idées. À partir du moment où on crée de la valeur grâce au temps fourni par un consultant, il n’est pas question que ce soit gratuit, même pour donner envie au client. »

    Car quand on accepte, il arrive – souvent – que cela se passe mal. « Le client oublie vite que tu fais ça par amitié ou pour le dépanner, raconte Camille, et confond les exigences de travail bénévole avec une prestation rémunérée. En plus, c’est compliqué de s’arrêter au milieu d’une mission, surtout dans le web où rien n’est jamais vraiment terminé… À la fin, cela laisse tout le monde sur sa faim. » Alexandre souligne aussi le paradoxe de la relation de dette morale qui se crée entre le client qui ne paie pas et le freelance qui lui fournit un travail gratuit : « Une bonne relation professionnelle doit être rémunérée pour être libre. Ne pas payer peut brouiller la relation, créer un inconfort voire un malaise. »

    La gratuité comme élément de fidélisation des clients

    Lorsqu’on est engagé dans une relation au long cours avec un client, qui rémunère à sa juste valeur le travail régulier, c’est acceptable – et même recommandé – sur un plan commercial de lui rendre un service quand il le demande. Tant que cela reste ponctuel, bien entendu. « Je peux donner un petit coup de main à mes clients, parce qu’ils savent qu’ils peuvent compter sur moi. On est dans une relation à long terme, je ne vais pas leur courir après pour 30 minutes de travail, cela ferait vraiment pince », explique Camille en souriant. Offrir un travail ponctuel, sur une tâche simple et bien définie, fait de vous un partenaire plus qu’un prestataire, nuance précieuse dans la qualité de votre relation commerciale. À vous de trouver le juste dosage pour vous y retrouver !

    Donner pour recevoir, c’est quand même possible

    Il y a des situations où le cœur a ses raisons que le portefeuille ne connaît pas. Et heureusement ! « Je me suis aussi engagée dans des associations où j’ai travaillé bénévolement, raconte Camille, mais c’était une démarche qui venait de moi, et cela change tout ». Alexandre renchérit : « On peut parfois avoir envie d’aider un proche, faire une bonne action ponctuelle, rendre un service amical : tout ne se monnaie pas. »

    Arnaud va plus loin en parlant de logique de co-construction. « Il m’arrive de proposer à des consultants de travailler avec moi au développement d’une nouvelle offre. C’est un investissement de leur part : ils fournissent gratuitement du temps et des idées, mais ils sont directement associés à la réussite de l’offre puisque c’est eux qui bénéficieront des missions qui en découlent. Ils gagnent en visibilité auprès des clients, et cela dénote aussi du dynamisme et de l’envie de travailler, c’est très positif. »  Cela marche aussi dans une logique associative. Camille cite l’exemple d’un groupe de coworkers qui a travaillé bénévolement pour une association sur un gros projet de crowdfunding. L’équipe avait accepté d’être rémunérée si le projet parvenait à trouver ses financements : très motivés par le projet, ils ont réussi à gagner 115% de la somme prévue !

    Le troc de services, une réponse originale à l’absence de moyens

    Et pourquoi pas échanger le développement de sa nouvelle application contre un an d’abonnement gratuit ? C’est Camille qui raconte son expérience auprès de clients désargentés. « Je leur ai rédigé des devis classiques. Je leur ai ensuite proposé soit un paiement différé, soit un paiement via des services de leur part pour un montant équivalent. J’ai ainsi pu échanger des cours de chant, de sophrologie, etc. que je n’aurais jamais fait sans cela, et qui m’ont apporté bien plus qu’une facture riquiqui. Sans vouloir le généraliser, je trouve que c’est un modèle intéressant d’échange de nos savoir-faire. » Cela suppose un bon niveau de confiance entre les deux parties, et l’assurance d’une qualité de travail équivalente des deux côtés pour que tout le monde s’y retrouve. Mais dénote un bel esprit collaboratif et l’envie de valoriser les compétences de chacun : autant de bonnes raisons de s’y essayer si les paramètres sont réunis.

    Bilan des courses ?

    Tentons de résumer le propos.

    1/ Vous êtes dans une relation purement commerciale avec votre client, et votre travail génère directement de la valeur = pas de travail gratuit, mais pourquoi pas un tarif exceptionnel. Et on s’y tient ! Sinon, c’est lui qui va venir vous tirer les oreilles.

    Traduction : « Si vous êtes bon dans quelque chose, ne le faites jamais gratuitement. »

    2/ Vous êtes dans une relation au long cours avec un client fidèle, qui vous demande un petit coup de main qui sort du cadre habituel de vos missions = ne pas lui facturer vous inscrit dans une logique de partenariat.

    3/ Vous travaillez en co-construction avec votre client, ou votre travail vous apporte une gratification personnelle (reconnaissance, épanouissement, gain de nouvelles compétences, etc.)  = le jeu peut en valoir la chandelle… si l’équilibre de votre business vous le permet et que cela reste très ponctuel.

    Sur ce, on vous laisse retourner travailler.

    MERCI À NOS TÉMOINS ET EXPERTS

    Avec 25 ans d’expérience dans le développement commercial et le management, Alexandre Gaertner a fondé Alyxo, qui accompagne les entreprises de toutes tailles dans le développement de leur performance commerciale. Il est également coach de cadres et dirigeants.

    Camille Garnier, directrice artistique et web-designer, qui accompagne depuis dix ans les entreprises de toute taille et de tous horizons dans le développement de leur identité visuelle et supports de communication.

    Arnaud Colaert, qui se définit comme un catalyseur de talents passionné par les transformations d’entreprise, a fondé Valuego Consulting, un cabinet indépendant de conseil en management, organisation et systèmes d’information, et anime un réseau de consultants et experts. Il dirige également PVB Portage, une structure de services dédiés aux consultants et travailleurs indépendants.

     

    Article rédigé par Clémentine Garnier

    Au fait, chez Wojo on ne fait pas qu’écrire !

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