Depuis quand n’avez vous pas adressé un compliment au travail ? Encore faut-il y penser, oser, en avoir envie, ne pas redouter d’en recevoir en retour… Mais pourquoi tant de réticences à (se) faire du bien ? On vous explique les mécanismes à l’œuvre pour vous aider à lever les freins et lâcher les lions.
Pourquoi verbalise-t-on si naturellement ce qui ne va pas ? Et pas ce qui va ? Parce que vous êtes râleur.se, négatif.ve, ingrat.e ? Pas du tout.
Si on parle plus volontiers de ce qui coince, c’est parce qu’on a le verbe paresseux (eh oui) : notre instinct nous pousse à verbaliser les choses appellent une réaction (pas bête). Mais pas ce qui roule, car pourquoi se fatiguer ?
Résultat : vous allez me dire « cet article est compliqué », pour obtenir que je simplifie mon propos à votre attention. Mais vous n’avez pas besoin de me dire « super article » (sauf, si vous espérez en lire un deuxième).
Dès lors, on comprend mieux pourquoi le compliment au travail n’est pas un automatisme. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il n’est pas vertueux, voire carrément nécessaire.
Un peu de linguistique
Deux notions simples, mais dont il faut avoir conscience pour adresser ou recevoir un beau compliment au travail.
Le performatif
Vous n’êtes pas sans avoir remarqué que certaines conversations ne font pas le même effet que d’autres. Ainsi, si je vous dis à la pause-café : « Il fait beau », alors qu’il pleut, vous allez me répondre « Euh, non ! » et vous demander ce qui me prend. Mais si je vous dis : « Désormais, c’est toi qui es responsable des publications », alors de facto, vous voilà à réfléchir à une mission de rédacteur en chef. Dans le premier cas, jamais je ne vous convaincrai qu’il fait beau, mais dans le second, le fait que je vous confie cette mission ouvre une porte, voire, vous transforme effectivement.
Une expression est dite performative lorsqu’elle ne se borne pas à décrire un fait mais qu’elle « fait » elle-même quelque chose. Par exemple, « Je te fais chevalier » et hop ! vous voilà chevalier. Prêter serment… Vous l’aurez deviné, cette efficacité du verbe ne fonctionne que si vous reconnaissez la légitimité de votre locuteur à proférer de telles paroles.
Il en va de même pour les compliments : ils n’ont de réelle valeur que s’ils sont prononcés à juste titre par la bonne personne. Ainsi, si votre grand-mère estime que vous êtes un génie, c’est bien. Mais si c’est Elon Musk qui le déclare sur twitter, alors cela change tout : vous voilà génial.e.
Imaginez alors le potentiel, en termes de confiance en soi et de légitimité, lorsque vous vous fendez auprès d’un collaborateur d’un compliment au travail circonstancié sur un sujet que vous maîtrisez… Sans oublier vos pairs, qui ne manqueront pas de remarquer le message ainsi transmis : vous faites littéralement bouger l’univers en faveur de votre collègue. Puissant, non ?
Le perlocutoire
Deuxièmement : avez-vous déjà éprouvé ce regain de confiance en vous, ou cette énergie, à la suite d’un encouragement ou d’un compliment au travail bien fait ?
En linguistique, c’est ce que l’on appelle la fonction perlocutoire du langage : c’est l’effet psychologique que produit notre propos (des félicitations par exemple) sur notre interlocuteur (surprise, confiance, timidité, etc.). Cet effet peut d’ailleurs être visible immédiatement : ainsi, si je dis qu’il fait sombre, mon collègue va réaliser qu’on n’y voit rien, se lever et allumer. Et si je le congratule, il va relever la tête, son regard va s’allumer, etc.
C’est le linguiste John Austin (Quand dire, c’est faire), qui a disséqué les processus à l’œuvre dans les actes performatifs, et qui a théorisé cette notion que nous vous schématisons ici (les puristes et les curieux nous pardonneront : on passe sur l’effet illocutoire).
À lire aussi : La communication non violente en entreprise, un atout de taille
L’acte perlocutoire est très subtil, car cet effet psychologique ressenti par mon récepteur ne dépend pas uniquement de mon intention, mais aussi de sa perception de moi (de l’autorité qu’il me reconnait, en somme). Ainsi, il ne dépend pas que de moi que mon collègue ait confiance en mon jugement, ou qu’il se sente heureux quand je le congratule (nombreux sont les compliments maladroits qui n’atteignent pas leur objectif…). Il a son avis sur ma personne, mais aussi son histoire, ses prédispositions, et surtout, surtout le contexte dans le quel l’éloge sera déclamé. Voilà pourquoi le compliment au travail requiert quelques précautions pour produire un bel effet.
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Venons-en au fait
Pourquoi se fendre d’un compliment au travail
Les mots ont donc un pouvoir énorme sur nos esprits et c’est notre environnement culturel qui est ici à l’œuvre. C’est même ce qui fit dire que « le langage structure la pensée » (voir à ce sujet W. Humboldt et l’hypothèse de Sapir Whorf, obsolète mais passionnante), autrement dit : l’existence lexicale d’une notion dans une langue permet d’ouvrir la catégorie mentale correspondante.
Quand bien même cette théorie a été nuancée, elle permet de comprendre :
– combien le fait de nommer / dire les choses est important,
– et que le silence n’est pas neutre. Ne jamais dire à un collaborateur qu’il fait du bon boulot, ne jamais lui signifier que l’on est heureux de le voir arriver le matin, que l’on apprécie sa façon de voir, etc., alors que nous ne manquerons pas de l’alerter sur ce qu’il doit faire ou rectifier… s’avère délétère.
Et nous en avons tellement « inconsciemment conscience 😉 » qu’aujourd’hui nous ne nous contentons plus de réclamer une augmentation ou plus d’autonomie à notre employeur, mais aussi… « de la reconnaissance ». CQFD.
Mais dites-le lui, enfin !!!
Vous l’aurez compris, la fonction performative et perlocutoire du langage est un levier de bien-être et de productivité en entreprise. Puisque l’effet perlocutoire du langage déclenche des actions, imaginez combien le parti pris du compliment au travail peut être vertueux ! Par exemple, dire à quelqu’un qu’il est un bon orateur, va de facto l’aider à se sentir légitime à parler en public et se porter volontaire quand l’occasion se présente, etc.
Alors, pour les grands timides, que dire ? Et aussi comment ne pas mettre notre interlocuteur mal à l’aise. Au fait, c’est vrai, ça : pourquoi a-t-on tant de mal à dire ou entendre ces mots-là ?
De la difficulté d’oser faire un compliment au travail
Parce que lorsque nous adressons un compliment au travail à quelqu’un, nous lui disons quelque chose de nous et quittons notre neutralité : le ton employé, les mots choisis, le moment, tout a du sens ! Que nous sommes satisfaits, que nous sommes reconnaissants, que nous avons conscience de sa valeur, etc. Or en milieu professionnel plus que partout ailleurs, ce voile levé sur nos pensées intimes nous incommode.
En face, le récepteur peut lui aussi être intimidé par votre éloge. Par ce que cela dit de vous, donc, mais aussi par le fond de ce que vous lui dites. Voilà pourquoi un compliment doit être :
- mesuré et crédible (n’ayons pas l’air de prendre des vessies pour des lanternes),
- prononcé avec un minimum de retenue (n’en faites pas trop),
- énoncé au bon moment (peut-être pas devant tout le monde, sauf si au contraire vous souhaitez affirmer votre estime devant le reste de l’équipe).
Trois clefs pour faire un authentique compliment au travail
Pour plus d’efficacité et de professionnalisme dans vos éloges, voici quelques pistes à méditer :
- comme évoqué plus haut, l’effet performatif n’opère que si le complimenté vous reconnait comme légitime à énoncer un jugement. Deux possibilités :
– faites des compliments sur des sujets dans lesquels il a lui-même de l’estime pour vous,
– assumez votre ignorance et saluez la performance : « Je ne sais pas coder mais je suis toujours bluffée par ton efficacité. » - soyez précis : « good job » c’est déjà bien, mais « j’ai vu comme tu as captivé l’auditoire, vraiment bravo », c’est mieux.
- soyez sincère : choisissez de faire un compliment sur un thème qui ne vous inspire pas de réserve. Autrement dit, ne nuancez pas votre compliment « tu étais stressé, mais tu as assuré », sous-entend que tout l’auditoire a ressenti la confusion du locuteur. Dites plutôt : « Je sais combien tu étais stressé, mais ça ne t’a pas empêché d’assurer, c’était parfait. »
Voilà tout ce que l’on voulait vous dire sur le compliment au travail. Désormais conscient.e.s de votre pouvoir, nous espérons que cela vous aura donné envie d’adresser un mot sympathique à quelqu’un autour de vous (compliment ou pas, du reste). Comme disait Valéry « Pas d’insensibilité aux compliments. Nul n’y échappe. »
À lire, pour apprendre sans s’en rendre compte :
Laurent Binet, La septième fonction du langage, Poche 2015 : polar déjanté autour du thème de la puissance de verbe.
Jane Favret-Saada, Les mots la mort les sorts, Gallimard 1977 : petite immersion dans le bocage normand pour mesurer la portée des sorts…