Transformation ou transition ? Numérique ou digital ? Une chose est sûre, le monde du travail bouge, emporté par une « quatrième révolution industrielle ». Quel rôle jouent les espaces de coworking et autres tiers-lieux dans cette évolution ? On en parle avec Frédéric Cavazza, qui a fait de la transformation digitale son métier.
E-mail et travail à distance, une vraie relation de cause à effet ?
Ce n’est pas tout à fait l’e-mail qui a favorisé le travail à distance, mais il y a tout de même un rapport. Entre les loyers qui augmentent et les travailleurs qui s’installent de plus en plus loin, on pense à gagner en productivité, et pour cela on réduit les temps de transport et on commence à réfléchir au télétravail.
Pour les collaborateurs nomades comme les commerciaux par exemple, c’est devenu une évidence, surtout lorsqu’on leur demande toujours plus de rendez-vous dans la semaine. Eux, ils sont tout le temps sur la route, il faut donc compenser avec des outils qui permettent de continuer à être productif. Il se trouve que tout le monde sait à peu près rédiger ou lire un e-mail. Donc dans l’inconscient collectif, on s’est dit « Allez zou, ça fera bien l’affaire ». Sauf qu’aujourd’hui, on sait que non, c’est une vraie catastrophe.
Pour le coup pour vous, il faut être formé et entraîné à travailler à distance ?
Pour commencer, il faut qu’on réapprenne à utiliser l’e-mail. Ensuite, bien évidemment, la formation doit également jouer son rôle. Nous avons aujourd’hui tout un tas d’outils de collaboration et de gestion de projets, qui sont dérivés des méthodes agiles.
Bien souvent, on se contente de créer des accès, avant d’envoyer les collaborateurs s’y frotter, mais personne n’est réellement formé à la « philosophie agile » et cela crée des dissonances. Comme pour tout outil de travail, il y a un apprentissage à mettre en place. Si vous êtes un travailleur manuel, on ne vous met pas devant une machine, tout en vous disant : « Ah non, mais c’est bon, vas-y go, on n’a pas le temps de te former, il faut produire. » Non seulement le travail va être mal fait, mais en plus on risque l’accident. C’est rigoureusement la même chose pour l’e-mail, pour les solutions de collaboration, de gestion de projets et ainsi de suite. On risque de perdre du temps et on de provoquer un accident (plutôt d’ordre psychologique/émotionnel que physique, mais qui va générer des blessures qu’il va falloir soigner).
Et faut-il apprendre également aux collaborateurs à télétravailler, à travailler à distance ou à travailler dans les tiers-lieux ?
Complètement. Le télétravail, cela s’encadre et un rapport de confiance doit être installé. Cela demande également une organisation. Par exemple, qui dit télétravail en entreprise dit aussi planning des interactions de personne à personne sur les jours où l’ensemble de l’équipe est présent dans l’entreprise. Le reste du temps en télétravail peut alors être réservé à toute la production, au travail de fond, aux tâches qui ne nécessitent pas de relation de personne à personne. On apprend alors à être plus productif, à ne pas se laisser distraire et à travailler en autonomie, à structurer sa semaine de travail. Que l’on soit chez soi ou dans un tiers-lieu, c’est la même chose.
Les espaces de coworking sont-ils les usines du XXIe siècle ?
Nous sommes passés du XIXe au XXe, puis au XXIe siècle d’une économie reposant sur le secteur primaire (agriculture, mines…), à une économie du secteur secondaire (usines, artisanat…), à une économie reposant sur le secteur tertiaire (les services). Les usines du XXe siècle étaient des lieux dédiés à la création de valeur : faire rentrer un maximum de salariés dans un endroit clôt pour y produire le plus de pièces possible, tout en limitant les risques d’accident. De ce point de vuelà, les usines étaient les lieux emblématiques de la recherche de la productivité de la troisième révolution industrielle (celle de l’automatisation).
Nous sommes maintenant au XXIe siècle, en pleine quatrième révolution industrielle (celle du numérique) et l’important pour une entreprise n’est plus sa capacité de production, mais son agilité : s’adapter à de nouvelles formes de concurrence et adopter des modèles économiques et circuits de distribution en rupture. De ce point de vue-ci, les espaces de coworking sont les lieux emblématiques de cette recherche d’agilité (la productivité du XXIe siècle). Ces espaces de coworking sont des endroits où l’on maximise l’espace (important, car la place est limitée en centre-ville) pour pouvoir stimuler la création de valeur à travers la fluidification des échanges (faire se rencontrer l’offre et la demande), l’éclosion d’idées neuves (remettre en cause les modèles du XXe siècle à travers des rencontres/discussions) et la mise à disposition d’infrastructures pour soutenir tout un écosystème de start-up, agences, TPE, travailleurs indépendants… pour qu’ils puissent prospérer dans un cadre agréable et efficient.
D’où mon postulat de départ : puisque l’on ne sait plus relancer l’agriculture ou l’industrie (qui appartiennent chacune à un autre siècle), les nouveaux temples de la création de valeur sont les espaces de coworking : carrefours des tendances, du numérique et d’une nouvelle approche du milieu professionnel avec plus de souplesse, plus d’agilité, plus de place laissée à l’adaptation et l’opportunisme. Répliquer ce modèle à plus grande échelle, comme c’est le cas avec Wojo et d’autres acteurs, c’est en faire des vecteurs de productivité et de création de valeur, les usines du XXIe siècle. CQFD.
Article rédigé par Aurore BISICCHIA
pour Wojo, Business Humanizer