Et si la réponse aux problèmes de management et aux crises d’ego était dans la suppression des intitulés de poste ? Une start-up américaine a tenté l’expérience et a éliminé tous les titres pour mettre en valeur les missions des collaborateurs. D’après eux, ça marche. Alors, idée inspirante ou lubie loufoque ? On a creusé le sujet pour vous.
« Bonjour. Je m’occupe du recrutement et de la formation afin d’attirer et de développer de nouveaux talents. » « Bonjour, ma mission est de trouver de nouveaux clients et de les faire fructifier. » Vous trouvez cela long ? C’est à ça que pourrait ressembler le pitch de présentation de Sophie, Responsable Talent Acquisition dans un laboratoire pharmaceutique, ou de Jean-Claude, commercial B2B dans un cabinet de courtage en assurance, si leurs entreprises décidaient d’adopter la même démarche RH que l’entreprise Gusto.
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Une démarche audacieuse : gommer les titres au profit des missions
Gusto, basée aux États-Unis, propose une plateforme qui simplifie la gestion de sa masse salariale et des avantages sociaux. En 2016, alors que Gusto se développait à vitesse grand V et embauchait à tour des bras des experts, spécialistes et autres directeurs, l’équipe s’est interrogée sur le manque de lisibilité des titres de chacun. Et a décidé, de manière assez radicale, de supprimer les titres de postes pour ne garder que le descriptif des missions.
Un impact immédiat sur le recrutement
Dès les premières semaines, les RH se sont félicités de la diversité des candidatures suscitée par l’absence de titres sur les annonces de recrutement. Des candidats plus alignés avec les valeurs et les besoins de l’entreprise, qualifiés pour le poste. Des gens au parcours atypique, mais qui n’auraient jamais osé postuler, intimidés par le titre.
Edna Ibondou, RH Partner chez Wojo, salue cette démarche innovante, mais émet quelques réserves. « Je comprends l’idée se focaliser sur les compétences, cela va bien sûr dans le bon sens. Mais c’est peut-être trop tôt de faire cela dès l’annonce de recrutement. En France, on a la possibilité de postuler à plusieurs annonces d’un seul clic, les gens ne lisent même plus le descriptif de poste. L’intitulé permet aux candidats de se reconnaître et d’avoir des repères. C’est structurant peur eux. » Sans oublier que techniquement, pour diffuser les annonces sur les sites de recrutement, remplir un intitulé de poste est obligatoire, et que les mots clés choisis sont essentiels pour bien remonter dans les recherches des candidats.
Autre bémol relevé par Edna : la quantité et la pertinence des candidatures reçues. « Ne pas mettre d’intitulé de poste, c’est aussi ouvrir les vannes et perdre l’aspect ciblé de la recherche. Je préfère recevoir moins de candidatures, et garder le temps de faire des retours personnalisés aux gens qui ont postulé. »
Valoriser les missions en interne, une stratégie gagnante ?
« La suppression des titres résonne à l’externe, mais aussi en interne. Elle a eu un important effet psychologique sur les salariés », raconte Jessica Yuen dans une tribune publiée sur Linkedin. Gommer les titres et prioriser la mission effectuée au sein d’une équipe a mis en valeur la philosophie collaborative de Gusto. Chaque salarié a fait la démarche de se redéfinir par rapport à son parcours et ses étapes de carrière plutôt que par son intitulé de poste, ce qui a reboosté la motivation de chacun.
Edna salue cette démarche qu’elle trouve positive d’un point de vue interne. « À la lecture des intitulés de poste sur LinkedIn, on a l’impression que tout le monde est manager, responsable ou directeur de quelque chose : cela n’a plus aucun sens. Ce qui compte, ce n’est pas le titre, c’est ce que l’on fait. Je trouve intéressant d’inviter les gens à réfléchir sur leurs missions dans l’entreprise pour définir leur positionnement. En revanche, cette démarche doit vraiment se faire en co-construction avec les RH pour qu’elle reste cohérente au niveau global. »
Et les jeunes, ils en pensent quoi ?
On a demandé l’avis de futurs salariés, réputés plus disruptifs que les générations précédentes dans leur rapport au travail. L’absence de titres constitue-t-elle un critère positif dans le choix de leur prochain job ou stage ? Vanille, 21 ans, étudiante à la Neoma Business School de Reims, se montre mitigée : « Si j’arrivais dans une nouvelle société pour un nouveau job, j’aurais vraiment peur d’être perdue. C’est plus difficile d’identifier les personnes référentes, avec l’expérience qui pourrait m’aider en cas de besoin. » Voilà pour le côté négatif. Mais il y a aussi du positif : « En parallèle, j’aurais l’impression d’avoir plus d’indépendance, et que l’on me confie un projet avec davantage d’autonomie. Cela pourrait aussi être un facteur de motivation, une fois passée la confusion des premiers mois. » Concernant le fait de postuler à des annonces ne mentionnant que des missions et pas d’intitulé de poste, Maxime, étudiant en commerce international, explique : « Nous, on est habitués aux annonces de stage qui décrivent des missions plutôt qu’un poste… Donc pourquoi pas, en effet ? Même si j’ai du mal à me projeter dans plusieurs années, une fois que j’aurais plus d’expérience : il y a un côté un peu dévalorisant à ne pas avoir de titre, je trouve ». Ah, le superflu… cette « chose si nécessaire », s’amusait Voltaire.
Les titres, une nourriture pour les egos ?
On en revient au cœur du sujet. Les titres, ronflants ou pas, serviraient-ils avant tout le besoin de reconnaissance des uns et des autres, plutôt que la productivité de l’entreprise ? C’est en tout cas la base de la révolution initiée par Tony Hsieh, PDG charismatique de Zappos, géant américain du e-commerce. Zappos est célèbre pour sa croissance rapide – elle a atteint le milliard de chiffres d’affaires en seulement dix ans – et sa philosophie basée sur le bonheur des salariés et des clients. Celui des premiers repose notamment sur une organisation interne originale sur le principe de l’holacratie. En 2015, Tony Hsieh a ainsi supprimé la pyramide hiérarchique pour laisser plus d’autonomie aux salariés. Une initiative qui a entraîné le départ de 14% des collaborateurs… et la satisfaction des autres. Pas question néanmoins d’abolir le leadership, mais plutôt de le réorganiser selon le rôle des différents collaborateurs et les compétences nécessaires à la réussite de chaque projet. Cette flexibilité favorise la fluidité et l’efficacité au sein des équipes, et l’émergence d’idées innovantes.
La voie du compromis : des titres, pourquoi pas, mais innovants
Si vous n’envisagez pas de supprimer tous vos échelons hiérarchiques, d’autres pistes peuvent être explorées. La version canadienne de Monster s’amuse de la multiplication dans son moteur de recherche des titres fantaisistes destinés à attirer de jeunes talents. « Évangéliste développeur », « ambassadeur de marques », « gourou du cellulaire », « ninja du digital »… mais qu’est-ce que ça veut dire, au juste ? Cette tendance reflète le désarroi des recruteurs « traditionnels » qui cherchent à attirer les générations Y et Z, en leur agitant sous le nez des titres fantaisistes supposés titiller leur fibre créative.
L’avantage : cela valorise effectivement la créativité des « maestros de la gestion de projet », mais peut vite devenir nébuleux lorsqu’il s’agit de définir les missions exactes d’un « ninja des réseaux sociaux ». Doit-il fait de l’achat ? Du community management ? De la modération ? Les trois ? Les candidats potentiels peuvent être désarçonnés par un intitulé aussi large. Retour à la case départ : peu importe le titre, on en revient toujours à la mission.
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Les enseignements à en retirer
La stratégie RH ne peut pas être la même dans une start-up de quinze personnes et une société de cent salariés. Les besoins de lisibilité en interne et externe diffèrent. La définition des missions et l’accompagnement des talents doit se structurer au fil du développement de la société, via des outils de formation. La clé est finalement peut-être ici : encourager les gens à développer de nouvelles compétences qui nourrissent leur apport stratégique dans l’entreprise, plutôt que de les enfermer dans un intitulé de poste (original ou pas), qui se vide de son sens au fil des années et de l’expérience accumulée.
Je laisserai le mot de la fin à Lord Baden-Powell, militaire et fondateur du scoutisme en Angleterre, avec cette citation inspirante : « Que ton ambition soit de voir, non pas ce que tu pourras tirer du travail, mais ce que tu pourras y mettre de toi. » Vous en faites ce que vous voulez !
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